Kerviel
Actualité – MAJ : 7 juin 2016. Le Conseil de prud’hommes a jugé le licenciement de Jérôme Kerviel sans cause réelle et sérieuse. La Société Générale est condamnée à lui verser plus de 450 000 €uros. La banque a déjà annoncé qu’elle faisait appel. Par ailleurs, la Cour d’appel de Versailles va examiner dans quelques jours le montant des dommages et intérêts auxquels Jérôme Kerviel avait été condamné sur le plan civil et pour lesquels la Cour de cassation a dit qu’ils devaient être réexaminés pour tenir compte des fautes de la banque.
L’origine de l’affaire Kerviel
Jérôme Kerviel, 31 ans, est salarié depuis 7 ans 1/2 de la Société Générale, quand éclate l’affaire en janvier 2008. Après avoir travaillé au middle office avant de passer en 2005, au front office. Il est alors chargé de l’arbitrage sur des contrats à terme portant sur des indices boursiers (en terme plus simple, il est trader).
Jérôme Kerviel a dépassé, à plusieurs reprises, les montants officiellement autorisés par la banque depuis la prise de ses nouvelles fonctions (2005). Lorsque la banque découvre l’ampleur de l’exposition et décide de mettre fin à la position spéculative prise par Jérôme Kerviel, la Société Générale est engagée à hauteur de 49 milliards d’euros environ. La position est perdante pour un montant important mais bien moindre que la perte à l’issue du dénouement de la liquidation des positions prises par Jérôme Kerviel. Ce dénouement s’est, en effet, réalisé en urgence et dans la baisse des marchés financiers. Résultat la banque annonce une perte sur l’opération de 6,3 milliards d’euros, mais l’affaire a été réglée dans le secret avant de devenir publique. Si le secret n’avait pas été possible pendant quelques jours l’explosion financière aurait sans doute été gigantesque.
La banque aurait-elle pu agir différemment en prenant des contre-positions ? Sans doute le risque de fuites aurait-il été trop grand. Selon Daniel Bouton, PDG de la Société Générale, pour lequel il était nécessaire de liquider très vite les positions, a ainsi déclaré : « Si une guerre avait éclaté lundi ou si les marchés avaient chuté de 30 %, la Société générale risquait le pire avec une telle exposition ». Notons que Jérôme Kerviel conteste les chiffres et le scénario de la Société Générale.
Le 24 Janvier 2008, le Président de la Société générale révèle l’affaire dont elle se dit victime, dans une conférence de presse. Daniel Bouton précise que « l’opérateur de marché » aurait dissimulé les opérations faites sur le marché en introduisant dans le système informatique de la Société générale des opérations inverses fictives les compensant.
Antérieurement, Jérôme Kerviel avait réalisé un gain de 1,4 milliard d’euros en ayant procédé de manière similaire. C’est pourquoi, l’on parle de 4,9 milliard d’euros de perdu par la société générale.
Les suites civiles et pénales de l’affaire Kerviel
Le parquet de Paris ouvre une enquête préliminaire « pour escroquerie, abus de confiance aggravé, faux et usage de faux, complicité et recel ». Jérôme Kerviel est mis en garde à vue, il sera placé sous contrôle judiciaire puis incarcéré, puis libéré…
Pendant ce temps, la banque indique qu’« aucune preuve de détournement ou de complicité interne ou externe […] n’a été constatée ». Un rapport d’audit évoque un « environnement général » ayant conduit à des « dépassements fréquents de limites de risque » dans le service de Jérôme Kerviel. Un rapport de la brigade financière conclut que Jérôme Kerviel a « abusé de la confiance » et « profité de la négligence de sa hiérarchie ».
La Société Générale reçoit de la Commission bancaire un blâme et une amende de quatre millions d’euros en raison des « carences graves du système de contrôle interne ».
Jérôme Kerviel est condamné à cinq ans de prison, dont trois fermes, et à des dommages et intérêts de 4,9 milliards d’euros.
La cour d’appel de Versailles confirme la condamnation. L’arrêt de la cour d’appel dit que Jérôme Kerviel a été « l’unique concepteur, initiateur et réalisateur du système de fraude ayant provoqué le dommage, lequel trouve son origine dans la prise de positions directionnelles, pour un montant de 50 milliards d’euros, dissimulées par des positions fictives, en sens inverse, du même montant ». Mais la cour a aussi constaté « l’existence et la persistance, pendant plus d’un an, d’un défaut de contrôle hiérarchique, négligence qui a permis la réalisation de la fraude et concouru à la production du dommage ». La cour a aussi relevé l’absence « d’un quelconque profit retiré par le prévenu des infractions commises » (Cour d’appel de Paris, du 24 octobre 2012).
Mais, le 19 mars 2014, la chambre criminelle de la Cour de cassation confirme la condamnation à la prison de Jérôme Kerviel mais annule les dommages et intérêts de 4,9 milliards d’euros à la Société Générale, au motif que la Cour d’appel ayant relevé « l’existence de fautes commises par la Société générale, ayant concouru au développement de la fraude et à ses conséquences financières, la cour d’appel a méconnu le principe » selon lequel « lorsque plusieurs fautes ont concouru à la production du dommage, la responsabilité de leurs auteurs se trouve engagée dans une mesure dont l’appréciation appartient souverainement aux juges du fond » (Cour de cassation, chambre criminelle, mercredi 19 mars 2014).
Un nouveau procès se déroulera donc devant la cour d’appel de Versailles, pour décider en ce qui concerne les dommages et intérêts. Ce nouveau procès est prévu en juin 2016.
Jérôme Kerviel, qui avait été incarcéré à son retour d’une marche médiatisée en Italie, a bénéficié d’un aménagement de peine en septembre 2014, après près de 4 mois d’incarcération. L’ancien trader avait déjà été en détention préventive dans les débuts de l’affaire.
Le licenciement pour faute lourde de Jérôme Kerviel
Son employeur,la Société Générale, a mis à pied à titre conservatoire Jérôme Kerviel dès la découverte de la fraude, le dimanche 20 janvier 2008. En février 2008, pendant que Jérôme Kerviel est en prison à titre préventif, l’employeur procède à son licenciement pour faute lourde.
La banque a reproché à Jérôme Kerviel des engagements violant les limites autorisées, l’abus de confiance de son employeur avec faux et usage de faux et introduction frauduleuse de données dans le système informatique de la banque, ayant pour conséquence les pertes financières.
En procédant au licenciement pour faute lourde de Jérôme Kerviel, l’employeur considère qu’il y a eu intention de nuire à l’entreprise. La faute lourde est une faute extrêmement grave, ce qui est manifestement le cas. Mais selon la Cour de cassation, la faute lourde se caractérise par l’intention de nuire à l’employeur ou l’entreprise, ce qui ne semble pas correspondre aux faits que nous connaissons ! Jérôme Kerviel a plutôt cherché à faire gagner de l’argent à son employeur.
L’intention frauduleuse et la condamnation pénale de l’ancien trader ne prouve nullement une intention de nuire à l’employeur. L’intention de nuire est évidente, par exemple, lorsqu’il s’agit d’une destruction volontaire de matériel ou de fichier.
Le recours aux Prud’hommes : licenciement abusif, faute lourde ou faute grave ?
Le 12 février 2013, comme n’importe quel salarié, Jérôme Kerviel, a saisis le Conseil de prud’hommes. Il conteste les motifs de son licenciement et visait à obtenir que son licenciement soit dit sans cause réelle et sérieuse, ou subsidiairement la requalification de son licenciement pour faute lourde en licenciement pour faute grave, ainsi qu’une expertise sur les pertes qui lui ont été imputées par la Société générale et les conditions de celle-ci. Jérôme Kerviel, estime que ces pertes n’existent pas et que la banque n’a jamais perdu 4,9 milliards, mais les aurait récupérés secrètement tout en complotant contre lui.
La tentative de conciliation aux prud’hommes (étape prévue par la procédure)
Aucun accord n’avait évidemment été trouvé devant le bureau de conciliation du Conseil de prud’hommes, en juillet 2013, comme c’est d’ailleurs très fréquemment le cas. Le bureau du Conseil avait, par ailleurs, rejeté la demande d’expertise formulée par Jérôme Kerviel sur les conditions de la perte que la Société Générale a affirmé avoir subis en 2008.
Jérôme Kerviel voulait prouver, par cette expertise, l’absence de perte réelle par son ancien employeur.
L’audience de jugement des prud’hommes avortée en 2014
En mars 2014, lors d’une première audience de jugement les avocats de Jérôme Kerviel avaient demandé, sans succès, un renvoi à une date ultérieure, au motif que l’employeur avait tardé à leur fournir les pièces qu’ils avaient demandées.
Le bureau de jugement ayant alors rejeté cette demande, l’affaire avait alors été radiée.
Le jugement du 7 juin 2016 rendu par le Conseil de prud’hommes
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Jérôme Kerviel (représenté par l’un de ses avocats) a donc dû réintroduire sa demande au Conseil de prud’hommes, comme s’il le saisissait pour la première fois. C’est ainsi que vient d’avoir lieu le jugement prud’homale prononcé le 7 juin 2016.
« Licenciement sans cause réelle et sérieuse » de Jérôme Kerviel, selon le Conseil de prud’hommes
Le Conseil de prud’hommes considérant que la Société générale ne pouvait pas « prétendre n’avoir pas été au courant des opérations fictives de Monsieur Kerviel [bien] avant le 18 janvier 2008 « , a estimé la faute prescrite et a donc condamné la banque pour licenciement « sans cause réelle et sérieuse.
La banque est condamné à verser une somme de plus de 450 000 €uros, comprenant notamment son bonus de 300.000 euros pour l’année 2007, ses indemnités de congés payés et de préavis, l’indemnité de licenciement et des indemnités pour licenciement abusif. Le Conseil de prud’hommes a même retenu une indemnisation pour les conditions vexatoire de son licenciement, prononcé à l’époque pour faute lourde par la Société Générale.
La banque fait appel
La Société Générale, qui affirme pour sa part avoir été trompé par les manœuvres de dissimulation de Jérôme Kerviel et donc ne pas avoir eu conscience des dépassements d’engagement réalisés par Jérôme Kerviel, avant le 20 janvier 2008, a bien sûr annoncé qu’elle faisait appel. La Cour d’appel sera donc amenée à rejuger l’affaire sur le plan prud’homal.
Kerviel, absence de cause réelle et sérieuse, faute lourde ou faute grave : explications
Dans sa contestation prud’homale, Jérôme Kerviel mettait en cause la responsabilité de la banque. Les avocats de Jérôme Kerviel ont réussi à convaincre le Conseil de prud’hommes que Jérôme Kerviel n’avait pas commis de faute professionnelle. Il affirme, en effet, avoir agi avec l’aval de sa hiérarchie. Ses responsables hiérarchiques l’auraient volontairement laissé aller dans le mur pour qu’il devienne le fusible de la Société Générale, prise, selon lui, à l’époque dans la crise des « subprimes » américains. L’ex-trader a toujours soutenu, pour sa défense, que la Société générale savait qu’il prenait des positions vertigineuses non couvertes.
Ce qui semble avoir emporté le jugement du Conseil de prud’hommes, favorable à l’ex-trader, est que les alertes internes ne pouvaient pas rester ignorées par la banque (ce que celle-ci conteste). Or si la banque connaissait la faute du trader, celle-ci devait être sanctionnée dans les deux mois. Mais la banque avait invoqué plusieurs fautes pour le licenciement… Le jugement d’appel sera intéressant.
Il aurait été moins surprenant que le licenciement soit requalifié de faute lourde en faute grave
La qualification de faute lourde semblait moins difficile à remettre en cause, que la cause réelle et sérieuse du licenciement. La faute lourde implique, en effet, l’intention de nuire à son employeur. Or l’intention de nuire n’est pas évidente dans cette affaire, puisque Jérôme Kerviel cherchait à faire gagner de l’argent à son employeur la Société Générale. Pour mieux comprendre, vous pouvez voir les exemples de fautes.
Article rédigé par Pierre LACREUSE, Sciences-Po Paris, licence en droit et DESS Université de Paris I Panthéon- Sorbonne, ancien Directeur de la Gestion du personnel et des Relations Sociales, DRH, puis chef d’entreprise (PME), aujourd’hui Editeur juridique et relations humaines sur internet.
Sources : Leparisien.fr ; Lefigaro.fr ; Lexpress.fr ; Huffingtonpost.fr ; lesechos.fr ; BFM TV ; Wikipédia ; Arrêt cour de cassation Legifrance.fr.
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