Revirement de jurisprudence – Faute grave
Un bon exemple de revirement de la jurisprudence concernant le licenciement pour faute grave est donné par la qualification donnée par la Cour de cassation aux ruptures consécutives à des refus par des salariés de la modification du contrat, ou des conditions de travail.
L’employeur peut engager la modification des conditions de travail d’un salarié, ou celle du contrat. Soit il peut décider seul cette modification, soit il doit obtenir l’accord du salarié ou à défaut licencier celui-ci. Bien sûr, pour que l’employeur soit dans son droit, la modification ne doit pas être inopinée ou abusive ; en fait, elle doit être justifiée du point de vue de l’entreprise, avoir une cause réelle et sérieuse. Dans le cas où l’accord du salarié est requis pour la modification, l’employeur ne peut procéder au licenciement que s’il justifie d’une raison sérieuse de changement l’ayant conduit à proposer la modification refusée par le salarié. Ainsi, sous cette seule réserve, le salarié ne peut choisir qu’entre l’acceptation et le licenciement.
La modification peut porter sur le mode, la structure ou le montant de la rémunération, sur l’organisation (jours, horaires de travail…) et la durée du temps de travail, sur le lieu de travail, sur la nature des fonctions exercées ou sur les taches…. etc… La cause peut être d’ordre personnel concernant le salarié, ou d’ordre économique.
L’ancienne distinction : la modification substantielle du contrat de travail et celle non substantielle
Jusqu’en 1996, la jurisprudence de la Cour de cassation reposait sur la distinction entre la modification non substantielle du contrat de travail et la modification substantielle. Le refus du salarié pouvait entrainer :
- soit un licenciement pour faute grave si la modification était non substantielle,
- soit un licenciement pour cause réelle et sérieuse (avec paiement du préavis et de l’indemnité de licenciement) dans le second cas.
1996 : la jurisprudence distingue la modification du contrat de travail et celle des conditions de travail
Depuis 1996, la Cour de cassation s’est mise à faire la distinction entre la modification des conditions de travail et la modification du contrat de travail. Dans ses arrêts, la Cour de cassation montrait qu’elle considérait que le refus par un salarié de poursuivre le travail après un changement portant sur ses conditions de travail ouvrait, en principe, la possibilité pour l’employeur de procéder à un licenciement pour faute grave. A l’inverse le refus d’une modification du contrat de travail permettait seulement le licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Alors que jusqu’en 1996, la distinction portait sur le fait de savoir si la modification concernait un élément ayant été déterminant dans la conclusion du contrat ou pouvant entraîner des changements important dans les conditions de travail ou de vie du salarié, à partir de 1996, la distinction semblait être plus liée à l’appartenance ou non au domaine du contrat.
Pour une modification du contrat de travail, l’employeur ne peut pas se passer de l’accord du salarié. Mais s’il ne peut obtenir cet accord, alors qu’il est en mesure d’invoquer une cause réelle et sérieuse justifiant de manière pertinente l’intérêt de l’entreprise, il pourra procéder au licenciement du salarié, sans invoquer la faute de celui-ci.
Ainsi, « ….. lorsqu’un salarié refuse la modification de son contrat de travail l’employeur doit, soit le rétablir dans son emploi, soit tirer les conséquences du refus en engageant la procédure du licenciement ….. ». Si la justification n’apparait pas assez pertinente, elle « ne rend pas le licenciement prononcé en raison du refus du salarié d’accepter ladite modification nul mais sans cause réelle et sérieuse » (Cour de cassation, mardi 26 novembre 2002, N° : 00-44517).
Concernant la modification qui constitue un simple changement des conditions de travail, la Cour de cassation considère qu’elle est soumise au pouvoir unilatéral de direction de l’employeur. En conséquence, jusqu’en 2000, elle affirmait par exemple :
- qu’une salariée refusant d’exécuter son travail au nouveau siège de l’entreprise (donc après un changement de lieu de travail), qu’ « une Cour d’appel juge exactement que le refus de la salariée d’exécuter son travail conformément aux directives de l’employeur caractérise une faute grave » (Cour de cassation 16 juillet 1997 N° : 94-44331) ;
- et que « le refus par le salarié de continuer le travail ou de le reprendre après un changement de ses conditions de travail (modification d’horaires) décidé par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction constitue, en principe, une faute grave qu’il appartient à l’employeur de sanctionner par un licenciement ; qu’à défaut d’un tel licenciement, le contrat n’a pas été rompu, de sorte que le salarié ne peut réclamer aucune indemnité » (Cour de cassation 20 octobre 1998 N° : 96-42296).
Nouveau revirement : la prise en compte du cas personnel du salarié
En octobre 2000, la Cour continuait à rappeler que le refus d’une salariée de poursuivre l’exécution du contrat en raison d’un simple changement des conditions de travail décidé par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction (en l’espèce, une modification des horaires ou jours de travail) était fautif. Elle considérait donc que cela rendait la salariée responsable de l’inexécution du préavis qu’elle refusait d’exécuter aux nouvelles conditions.
Mais, revirement, au motif du cas personnel du salarié, la Cour de cassation décidait que ce refus n’était pas constitutif d’une faute grave :
- parce que le nouvel horaire imposait à la salariée d’être présente à l’heure du déjeuner dont elle pouvait disposer précédemment, ce qui lui permettait de s’occuper de ses enfants d’âge scolaire (Cour de cassation 17 octobre 2000 N° : 98-42177) ;
- ou parce que la salariée avait une ancienneté de 19 années pendant lesquelles elle avait disposé librement du samedi matin (Cour de cassation 17 octobre 2000 N° : 98-42264).
Dans le même sens, la Cour de cassation a estimé qu’une cour d’appel avait pu juger que ne reposait pas sur une faute grave, ni même sur une cause réelle et sérieuse, le licenciement d’un salarié absent sans justification durant une semaine, alors qu’il avait eu jusque-là un comportement irréprochable et qu’il s’agissait d’un unique manquement en 25 ans de carrière (Site Abandon de poste, jurisprudence de la Cour de cassation, chambre sociale, 7 mars 2006, N° 04-43782).
En fait, la Cour de cassation considère qu’outre la légitimité du motif de l’employeur, le cas personnel du salarié peut déterminer si un licenciement pour faute grave est justifié ou seulement un licenciement pour cause réelle et sérieuse. Il s’agit d’un bel exemple de revirement de jurisprudence.
Les revirements de jurisprudence à la fois difficiles à prévoir et, ayant un effet rétroactif créent une relative incertitude sur le droit applicable. Ainsi employeurs et salariés ne peuvent pas être pleinement assurés de ce qu’ils ont le droit de faire et des conséquences de ce qu’ils font.
Article rédigé par Pierre LACREUSE, Sciences-Po Paris, licence en droit et DESS Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, ancien Directeur de la Gestion du personnel et des Relations Sociales, DRH, puis chef d’entreprise (PME), aujourd’hui Editeur juridique et relations humaines sur internet.
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