Rapport Lacabarats sur les prud’hommes

Juillet 2014. M. Lacabarats, alors Président de la Chambre sociale de la Cour de Cassation, a dressé un constat sévère et a proposé dans un rapport remis en juillet dernier à Madame Taubira, Ministre de la Justice, 45 mesures de réforme des conseils de prud’hommes. A rapport a motivé la réforme des prud’hommes votée dans le cadre de la loi Macron de 2015.

Prud’hommes : un constat sévère

Le rapport dresse d’abord un constat très sévère concernant l’institution prud’homale : Les délais de jugement sont inacceptables. Près de la moitié des jugements de prud’hommes sont déjugés.

Des délais de jugement inacceptables

Au niveau des délais (1) : les conseils de prud’hommes ont la plus longue durée pour aboutir à un jugement sur le fond parmi  toutes les juridictions : 15,6 mois en moyenne, à comparer aux 5,2 mois pour les Tribunaux d’Instance (TI) et 7,6 mois pour les Tribunaux de Grande  Instance(TGI).

De plus ces délais correspondent à la seule durée séparant la saisine du jugement ; or, les pratiques de nombreux conseils de prud’hommes, par lesquelles le jugement est rédigé après son prononcé allonge encore l’attente du jugement. Dans certains conseils de prud’hommes, les délibérés sont prorogés de plusieurs mois, parfois à plusieurs reprises et dans certains cas pour aboutir à une décision de partage de voix qui entraîne l’écoulement d’un nouveau délai jusqu’à la nouvelle audience de départage.

Par ailleurs, la proportion d’appels auprès les prud’hommes étant considérable, il faut, dans la grande majorité des cas, attendre le jugement d’appel, soit un délai supplémentaire de 16,4 mois.

Une qualité des jugements contestée

Au niveau de la qualité des jugements  (1) :

  • près des deux tiers des jugements de prud’hommes sont contestés par l’une des parties (64,5 % d’appels, contre 5,9 % pour les TI et 18,3 % pour les TGI)
  • et parmi les appels, 71,7 % emportent l’infirmation totale ou partielle du jugement de prud’hommes (contre 53,6 % pour les jugements des TI et 54% pour les TGI).

Au final, il reste donc à peine plus de la moitié des jugements de prud’hommes non déjugés (53,75%) contre 96,84 % pour ceux des TI et 90,12 % pour ceux des TGI (2).

Pour ce qui concerne le taux de conciliation, qui constitue la première mission des conseils de prud’hommes : on constate qu’il subit une baisse d’année en année et n’était plus que de 5,5% en 2013.

Le rapport dénonce aussi certaines pratiques, « certes non générales mais néanmoins fréquentes dans certains conseils de prud’hommes ». Le prononcé du jugement et sa mise à disposition précèdent la motivation qui n’est faite, parfois que plusieurs mois après le « prononcé officiel ». Or, comme le rappelle le rapport « un jugement n’existe véritablement que lorsqu’il comporte à la fois une motivation et un dispositif. Il ne doit donc être prononcé qu’après rédaction des motifs retenus par la juridiction ». Il est possible d’ajouter que faute de cela, il n’y a aucune garantie de qualité de la décision. En simplifiant (mais est-ce excessif ?), on pourrait dire que l’on décide d’abord et que l’on cherche ensuite à justifier la décision.

Enfin, pour achever le constat, le rapport indique qu’en 2013, l’État a été condamné 66 fois pour dysfonctionnement de la justice civile, dont 51 fois à cause de la justice prud’homale.

Le rapport rappelle que « les décisions judiciaires, quelle que soit la juridiction qui les prononce, doivent satisfaire à des exigences communes de qualité: une véritable motivation répondant aux moyens des parties ; une juste appréciation des faits et des preuves ; l’application des règles de droit appropriées ». Il rappelle aussi les exigences de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, selon lesquelles « tout justiciable a le droit de voir sa cause jugée dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial » et dénonce l’insuffisante professionnalisation des juges. Le fait de devoir faire ces rappels ressemble fort à une condamnation du fonctionnement de l’institution prud’homales, juge de première instance des contentieux individuels entre salariés et employeurs pour tout ce qui concerne la conclusion, l’exécution et la rupture des contrats de travail et donc du licenciement pour faute grave, auquel ce site est spécifiquement consacré, ainsi que des autres licenciements et de la rupture conventionnelle.

Précisons toutefois, qu’aucune généralisation ne doit être effectuée, car les auditions réalisées au cours de la mission ont montré que certains conseils de prud’hommes rendaient une justice conforme aux attentes des justiciables.

45 propositions ont été présentées à la Ministre de la justice

Le rapport rédigé par le Président de la Chambre sociale de la Cour de Cassation, dans le cadre d’une mission ayant procédé à de nombreuses consultations, préconise notamment :

Une formation et une meilleure répartition des effectifs

Une véritable formation initiale et continue des juges prud’homaux, avec intervention de  l’Ecole Nationale de la Magistrature et de l’Ecole Nationale des Greffes est préconisée.

Une meilleure répartition des effectifs des conseillers  et des conseils de prud’hommes sur le territoire est présentée comme nécessaire pour mieux correspondre aux contentieux selon les professions et les bassins d’emplois.

Le rapporteur fait état de l’attachement viscéral des partenaires sociaux, au système du paritarisme. Mais rappelant que l’organisation mise en place doit assurer la sécurité juridique, l’efficacité des procédures juridictionnelles et l’effectivité des jugements, il projette d’appliquer aux juges prud’homaux les règles relatives aux droits et obligations des juges

Un tribunal des prud’hommes et des juges prud’homaux

Un des axes principaux d’amélioration de la justice prud’homale « passe par le rappel qu’une fois élus, les conseillers prud’homaux ne sont plus les mandataires de leurs organisations syndicales ou patronales, mais des juges. Il ne peut pas être admis qu’un litige puisse être jugé par un conseiller en fonction de son appartenance syndicale, et non en fonction des règles de droit (lois, décrets, jurisprudences…) applicables. Les juges prud’homaux seront donc soumis aux règles relatives aux droits et obligations des juges ».

Un changement d’appellation est proposé : le conseil des prud’hommes deviendrait le tribunal des prud’hommes, où siègeraient des juges prud’homaux, afin de marquer le fait qu’il s’agit d’une juridiction. Le terme “conseil” prête à confusion, tant pour les justiciables, qui  croient souvent pouvoir bénéficier de conseils, que pour les acteurs de la justice prud’homale eux-mêmes.

Une organisation et des responsabilités clarifiées

Les textes relatifs à l’organisation, à la procédure et au fonctionnement de la juridiction prud’homale devront être intégrés dans le code de l’organisation judiciaire et dans le code de procédure civile (le conseil de prud’hommes est régi par le code du travail, dont ce n’est pas la vocation, alors que les autres juridictions ayant à connaître du contentieux du travail (TI, TGI) le sont par les codes dédiés à la procédure et à l’organisation judiciaire).  Des principes déontologiques et une procédure disciplinaire comparables à celle des juges professionnels devront être prévus. Le contrôle des chefs de cour devra être renforcé. Le Conseil supérieur de la prud’homie deviendrait  l’organe statutaire des juges prud’homaux.

Les rôles respectifs des ministères de la justice et du travail devront être clarifiés : au premier l’organisation, le fonctionnement et les procédures et au second  l’élection ou la désignation des juges, les règles de fond et les relations avec les partenaires sociaux.

Une série de mesures d’amélioration

Un accès sécurisé aux ressources de l’intranet justice et des rencontres et échanges entre les juges prud’homaux,  les juges départiteurs et les autres juges judiciaires devront être mis en place.

De la souplesse devra être introduite dans le fonctionnement des sections.

L’indemnisation du temps de préparation des audiences de conciliation devra être améliorée.

L’ensemble du contentieux du travail, en formation collégiale ou en juge unique devra être confié à un vice-président du TGI et une spécialisation valorisée en droit du travail doit être assurée aux juges du fond.

Le nombre de conseillers en service extraordinaire susceptibles d’être affectés à la chambre sociale de la Cour de cassation devra être augmenté.

La répartition des compétences entre ordres juridictionnels sur certains sujets croisés devra être revue et une procédure de question préjudicielle entre les deux juridictions suprêmes des ordres administratif et judiciaire rendue possible.

Des actions collectives doivent devenir possibles devant le TGI (pour juger les aspects communs). Les dossiers posant des questions similaires être regroupés et une demande d’avis à la chambre sociale de la Cour de cassation pour l’interprétation des conventions collectives instituée. Le renvoi immédiat au juge départiteur ou le jugement immédiat par le bureau de conciliation en cas d’absence injustifiée du défendeur doit être possible.

La représentation par  un avocat ou par un défenseur syndical et la procédure écrite doivent  devenir obligatoire devant la cour d’appel, car la procédure orale n’est plus adaptée au traitement d’un contentieux de plus en plus complexe. Un statut des défenseurs syndicaux doit être créé.

Enfin,  une voie de traitement rapide et simplifiée, avec mise en place d’un barème, sur l’initiative des juges et avec l’accord des parties, doit être rendue possible pour les cas où il n’y a pas de difficulté particulière.

Article rédigé par Pierre LACREUSE, Sciences-Po Paris, licence en droit et DESS Université de Paris I Panthéon- Sorbonne, ancien Directeur de la Gestion du personnel et des Relations Sociales, DRH, puis chef d’entreprise (PME), aujourd’hui Editeur juridique et relations humaines sur internet.

Texte complet du rapport de M. Lacabarats, Président de la Chambre sociale de la Cour de Cassation >> cliquer ici

    1. Les chiffres cités portent uniquement sur les affaires ayant fait l’objet d’un jugement sur le fond, donc sans celles ayant fait l’objet d’un désistement, d’une radiation, etc., et pour lesquelles l’action de la juridiction a été réelle, tant au niveau de l’instruction de l’affaire, qu’à celui de son jugement.
    2. Chiffres calculés à partir des éléments fournis par le rapport. Par exemple pour les Conseils de prud’hommes : (jugements sans appel 100% – 64,5 %) + (taux de jugements confirmés en appel 28,3 % x % d’appel 64,5%) = 53,75% de jugements de prud’hommes non déjugés.

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