Porter des accusations graves

Un agent comptable, participant à ce titre au conseil d’administration d’une caisse de MSA, a été licencié pour faute grave après avoir produit des documents confidentiels devant une juridiction administrative et avoir porté et diffusé des accusations extrêmement graves au personnel de la caisse. La cour de cassation a estimé qu’il y avait eu intention de nuire.

Le contexte du licenciement pour faute grave

En juin 2006, la caisse centrale de mutualité sociale agricole a décidé de réorganiser le réseau des MSA. Dans ce cadre, en mars 2008, il a été décidé de constituer une fédération entre 3 caisses en vue de leur future fusion. L’agent comptable de l’une de ces caisses de mutualité sociale agricole (MSA), assistant au conseil d’administration de sa caisse avec voix consultative, a présenté sa candidature au poste de directeur général adjoint de la nouvelle structure. Cette candidature fut écartée par la commission de recrutement.

Le 20 juin 2008 le conseil d’administration de la caisse donnait mandat à sa présidente de conduire une procédure de licenciement pour faute grave avec mise à pied conservatoire à l’encontre de cet agent comptable. Le salarié allait alors avoir 27 ans d’ancienneté.

Son licenciement pour faute grave fut prononcé au motif :

  • qu’il avait produit devant une juridiction administrative « des pièces nominatives concernant des cotisants qui, quelle que soit leur qualité, doivent bénéficier des mêmes droits et garanties que tout adhérent de la MSA » ;
  • d’avoir tenté d’utiliser son ascendant à l’égard d’un collaborateur pour se faire communiquer des documents confidentiels ;
  • d’avoir proféré des « accusations extrêmement graves et malveillantes » à l’encontre de la présidente du conseil d’administration, qui aurait, en avril 2005, bénéficié d’un traitement de faveur pour régler ses arriérés de cotisations … et d’avoir faussement allégué qu’elle aurait alors utilisé sa position de présidente de la commission de recours amiable pour obtenir des délais anormaux de régularisation de ses cotisations et fait pression sur lui pour être dispensée de toute garantie. L’autre personne (M. Z…) mise en cause par l’agent comptable était le président de la Chambre d’Agriculture ;
  • d’avoir diffuser une note écrite le 19 mai 2008, qui avait perturbé le bon fonctionnement de la caisse en suscitant une inquiétude du personnel.

Le contentieux : exercice de la liberté d’expression ou faute grave

Le salarié licencié pour faute grave a saisi le conseil de prud’hommes.

La justification du licenciement pour faute grave par la cour d’appel

La Cour d’appel de Grenoble, saisie à son tour, l’a débouté le 11 juillet 2012, aux motifs :

  • du caractère mensonger de ses allégations notamment établi par le fait que la présidente s’était retirée de la commission pour la décision la concernant, qu’une hypothèque légale avait été prise sur ses biens et que les paiements ont été honorés, alors qu’il avait prétendu qu’elle s’était trouvée en situation avérée de prise illégale d’intérêt et avait fait pression sur lui ;
  • de l’inutilité de la production des documents concernant l’autre personne mise en cause par lui, pour se défendre dans le contentieux administratif ;
  • de la note écrite du 19 mai 2008 ayant perturbé le bon fonctionnement de la caisse en suscitant les inquiétudes du personnel.

En conclusion, la cour d’appel a jugé justifié le licenciement pour faute grave.

Le pourvoi et les arguments du salarié du salarié

Faisant grief à l’arrêt de la cour d’appel de dire son licenciement fondé sur une faute grave et de le débouter de ses demandes fondées sur la nullité de ce licenciement, le salarié a formé un pourvoi en cassation.

Selon l’ancien agent comptable :

  • tout salarié jouit de la liberté d’expression quelle que soit sa catégorie professionnelle et la cour d’appel s’était contentée d’affirmer que ses propos constituaient « une grave méconnaissance de son obligation de réserve afférente à sa qualité de cadre dirigeant », sans indiquer en quoi les propos tenus avaient excédé la limite de la liberté d’expression du salarié ;
  • l’abus du salarié dans sa liberté d’expression justifiant une sanction disciplinaire « se caractérise par le contenu de l’expression et le périmètre de sa diffusion ; que l’effet produit par les propos tenu sur les destinataires de l’information ne constitue pas un critère de l’expression abusive » ;
  • il y aurait eu atteinte à sa liberté d’expression et à ses droits (de soumettre des documents en justice) contraires à l’article L. 1121-1 du code du travail, car le salarié ne peut être sanctionné pour avoir produit en justice des documents de l’entreprise strictement nécessaires à l’exercice de sa défense ;
  • l’attitude fautive de l’employeur est de nature à excuser les propos tenus par le salarié ; et qu’en l’espèce, ses communications aux administrateurs et au personnel avaient pour vocation de répondre à la mise en cause publique de sa candidature au poste de directeur adjoint de la caisse pluri départementale qui aurait été humiliante ;
  • la cour d’appel n’aurait pas recherché si les informations dévoilées dans sa communication au personnel avaient été indiquées comme confidentielles par la présidente du conseil, alors que les statuts de la caisse soumettait les membres du conseil d’administration à une obligation de confidentialité pour les informations données comme confidentielles par la présidente, que ne constitue une faute que la divulgation par le salarié d’informations dont il connaît le caractère confidentiel et que, par conséquent, il ne pouvait y avoir de licenciement pour faute ;
  • la cour d’appel  aurait utilisé un motif inopérant en ne justifiant pas vraiment son affirmation quant à l’inutilité de produire des documents concernant M. Z… et en se contentant d’affirmer qu’il n’avait pas pris part à la mise à l’écart du salarié ;
  • la cour d’appel n’aurait pas démontré sa mauvaise foi lorsqu’il affirmait avoir été victime d’une discrimination et dénonçait des agissements de harcèlement moral à son égard, alors que seule la mauvaise foi peut rendre légitime un licenciement ;
  • enfin, les règles de procédure spécifiques à la MSA n’auraient pas été convenablement appliquées pour son licenciement.

La cour de cassation : « faute grave » et même « intention de nuire »

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi du salarié.

La cour de cassation a, en effet, considéré «  qu’appréciant souverainement la valeur et la portée des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, la cour d’appel a retenu d’une part, que la production de documents confidentiels par le salarié devant la juridiction administrative n’était pas nécessaire à la défense de ses droits et d’autre part que ses allégations, malveillantes non étayées et au moins pour partie mensongères, manifestaient une intention de nuire, caractérisant ainsi sa mauvaise foi ».

D’autre part, la Cour de cassation a considéré que la cour d’appel avait « retenu que le salarié, cadre dirigeant, avait diffusé auprès du personnel des informations qu’il détenait en sa qualité de membre du conseil d’administration, dans le seul but de contester les décisions prises par ce conseil en opérant une confusion entre les obligations de sa fonction et ses aspirations personnelles déçues, que par plusieurs notes également diffusées au personnel dans le contexte délicat de la fusion en cours, il a critiqué en termes vifs la nomination et la compétence de la directrice intérimaire issue de la Caisse centrale, ainsi que les décisions des représentants de la caisse […], qu’il a ensuite mis en cause, de mauvaise foi, la probité de la présidente du conseil d’administration et tenté, pendant sa mise à pied, d’obtenir d’un subordonné la production de pièces confidentielles ».

La cour de cassation en a conclu que la cour d’appel avait pu en déduire que « ces comportements rendaient impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et constituaient une faute grave ».

Enfin, reprenant les considérants de la cour d’appel, la Cour de cassation a approuvé l’arrêt disant que « la procédure disciplinaire n’était entachée d’aucune irrégularité de fond ».

(Cour de cassation, chambre sociale, 14 janvier 2014, N°: 12-25658).

Source de la jurisprudence : arrêt de la Cour de cassation : Legifrance.gouv.fr

Résumé : La production de documents confidentiels, non nécessaire à la défense de ses droits, par un salarié cadre supérieur devant une juridiction administrative et des allégations, malveillantes non étayées et au moins pour partie mensongères, ont été reconnues comme manifestant une intention de nuire, caractérisant ainsi sa mauvaise foi. La faute grave a pu être déduite du comportement du salarié.

NB : La cour de cassation ayant même relevé une « intention de nuire », la faute lourde aurait pu être reconnue si l’employeur l’avait invoquée.

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Article rédigé par Pierre LACREUSE, Sciences-Po Paris, licence en droit et DESS Université de Paris I Panthéon- Sorbonne, ancien Directeur de la Gestion du personnel et des Relations Sociales, DRH, puis chef d’entreprise (PME), aujourd’hui Editeur juridique et relations humaines sur internet.

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