Voile islamique dans une crèche
Refus d’enlever le voile islamique dans une crèche – Affaire Baby-loup
Les questions sur la laïcité, l’islamisme et plus particulièrement le port du voile islamique agitent fortement le débat public. Et cela au point que ces questions, assimilées au thème de l’immigration, déterminent aujourd’hui le vote d’une partie importante de la population. Or, il y a plus de 12 ans survenait le licenciement pour faute grave d’une salariée dans une crèche pour son refus d’enlever le voile islamique.
Cette affaire avait alors déjà agité les débats. Et, à la suite, il y eut cinq décisions juridiques, dont deux arrêts de la Cour de cassation… Et même un avis du comité des droits de l’homme de l’ONU.
Le contexte du licenciement pour faute grave pour refus d’enlever le voile islamique
Cette affaire de voile islamique s’inscrit dans un contexte où l’opinion publique et la politique était déjà constamment présentes. En effet, la mise en avant ostentatoire des signes d’une forme d’islamisme radical dans une France où la présence musulmane était devenue plus importante, a redonné au débat sur la laïcité une grande acuité depuis les années 2000.
Ainsi, en 2004, une loi a interdit de porter des signes manifestant ostensiblement l’appartenance à une religion dans les écoles, les collèges et les lycées publics. Cela concernait le voile islamique, les croix de taille manifestement excessive… Plus tard, une nouvelle loi a interdit le 11 mars 2010 de dissimuler son visage dans l’espace public *, hormis pour quelques exceptions **.
* Voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public.
** Raisons de santé, … fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles.
L’affaire dont nous allons parler, n’a cessé, au fil de son évolution, de susciter de fortes réactions dans l’opinion publique et les milieux politiques.
Les protagonistes de cette affaire
La Crèche Baby Loup
La Crèche Baby Loup est un établissement associatif créé par un collectif de femmes à Chanteloup-les-Vignes Yvelines, en 1991. Sa raison d’être était de permettre à des personnes travaillant en horaires décalés d’accéder à un service de crèche. L’idée était aussi d’offrir l’accès à un métier dans le domaine de la petite enfance à des femmes du quartier. Et en 2002, la crèche Baby Loup est devenue la seule crèche ouverte en France 24 heures sur 24, sept jours sur sept. En outre, les enfants accueillis par Baby-loup sont souvent issus de familles monoparentales et défavorisées.
La salariée
Mme Fatima Afif, avait été engagée en qualité d’éducatrice de jeunes enfants exerçant les fonctions de directrice adjointe de la crèche et halte-garderie gérée par l’association Baby-Loup. Elle était en contrat à durée indéterminée depuis janvier 1997, après avoir occupé un emploi solidarité de décembre 1991 à juin 1992 et un contrat de qualification de décembre 1993 à fin novembre 1995. Et en mai 2003, elle a bénéficié d’un congé de maternité suivi d’un congé parental jusqu’au 8 décembre 2008.
L’enchaînement des faits ayant conduit au licenciement pour faute grave
A la reprise de son travail, elle arriva portant un voile islamique. De ce fait, une violente altercation eut lieu avec la directrice de la crèche.
La direction de Baby-loup rappela à la salariée :
- qu’elle occupait les fonctions de directrice adjointe, et qu’en cette qualité elle avait participé à la rédaction du règlement intérieur qui interdisait les signes religieux au sein de la crèche,
- ainsi que l’obligation de « neutralité philosophique, politique et confessionnelle» à laquelle étaient tenus les salariés.
Malgré les demandes insistantes de son employeur, Mme Fatima Afif refusa de retirer son voile islamique.
Dès le 9 décembre 2008, la directrice adjointe de Baby-loup était convoquée à un entretien préalable en vue d’un licenciement envisagé et était aussi mise à pied à titre conservatoire.
Après application de la procédure de licenciement pour faute, le 19 décembre, un licenciement pour faute grave lui était notifié. La lettre de licenciement pour faute grave précisait les motifs : « avoir contrevenu aux dispositions du règlement intérieur de l’association en portant un voile islamique et en raison de son comportement après cette mise à pied ». Ainsi lui était reprochée son insubordination.
Cinq décisions de justice dans l’affaire du voile islamique et une recommandation du conseil des droits de l’homme de l’ONU
Le refus de retirer le voile islamique devant le conseil de prud’hommes
La salariée, s’estimant victime d’une discrimination en raison de ses convictions religieuses, a saisi le conseil de prud’hommes. Elle demandait la nullité de son licenciement * et le paiement de diverses sommes pour un montant de 80 000 euros. Elle a également saisi la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’égalité (HALDE).
* sanction des licenciements illégaux.
Un affrontement a eu lieu dans les médias. Et la confusion était telle que la Présidente de la HALDE est venue soutenir l’association employeur aux Prud’hommes, alors que l’avis juridique de la HALDE était en faveur de la salariée voilée. A la fin, le conseil des prud’hommes de Mantes-la-Jolie (Yvelines) a débouté la salariée, en estimant qu’il y avait bien eu de sa part une insubordination caractérisée et répétée.
De ce fait, la salariée licenciée a fait appel du premier jugement.
L’appel et le premier arrêt de la Cour de cassation
L’arrêt de la cour d’appel de Versailles
En octobre 2011, la Cour d’appel de Versailles a confirmé le jugement du Conseil de prud’hommes du licenciement. Elle avait constaté que le règlement intérieur de l’association Baby Loup prévoyait que « le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées par Baby Loup, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu’en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche ».
Le premier arrêt de la Cour de cassation
La salariée se pourvoi en cassation et obtient alors une victoire. La Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles. Elle a, en effet, considéré « que la clause du règlement intérieur, instaurant une restriction générale et imprécise, ne répondait pas aux exigences de l’article L. 1321-3 du code du travail et que le licenciement, prononcé pour un motif discriminatoire, était nul, sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres griefs visés à la lettre de licenciement… ».
Enfin, la Cour de cassation a renvoyé l’affaire devant Cour d’appel de Paris pour un nouveau jugement. Le renvoi est la procédure habituelle (sauf cas particulier ne nécessitant pas un nouveau jugement).
(Cour de cassation, chambre sociale, 19 mars 2013, N°: 11-28845).
L’apparente contradiction avec un autre arrêt concernant une affaire similaire à la CPAM
Ce premier arrêt Baby-loup survient le même jour qu’un autre arrêt dans une affaire semblable au sein de la CPAM. Or concernant la sécurité sociale, la Cour de cassation n’a pas pris la même position. En effet, elle a validé le licenciement en affirmant que les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé. (Cour de cassation, chambre sociale, 19 mars 2013, N°: 12-11690).
Les médias et l’opinion publique ont mal compris la position de la Cour de cassation dans l’affaire Baby-loup. D’autant plus que la salariée au voile islamique était en contact avec les enfants et les familles. Alors que la salariée de la CPAM étant technicienne de prestations maladie n’avait pas de contact avec le public. En fait, la Cour de cassation qui ne fait pas les lois, cherche à les faire appliquer et ne les interprète que lorsque qu’elles ne répondent pas aux cas qui lui sont soumis, ou se contredisent.
L’arrêt de rébellion de la cour d’appel de renvoi
Fait juridiquement possible mais très rare, la cour d’appel de renvoi (la Cour d’appel de Paris) se rebelle en refusant de suivre la position de la Cour de cassation. Ainsi, par un arrêt du 27 novembre 2013, la Cour d’appel de Paris a justifié le licenciement pour faute grave. Pour cela, elle a jugé que la crèche pouvait être qualifiée « d’entreprise de conviction en mesure d’exiger la neutralité de ses employés ».
De ce fait, la salariée a saisi à nouveau la Cour de cassation.
Dans la même période, la crèche Baby-loup a fermé à Chanteloup-les-Vignes à la suite de menaces et de vandalisme. Puis a rouvert trois mois plus tard à Conflans-Sainte-Honorine, autre commune des Yvelines.
Le changement de position de la Cour de cassation sur le voile islamique dans le secteur privé
A la fois parce qu’elle devait statuer sur une décision d’une Cour d’appel de renvoi et parce que l’affaire Baby-loup avait une dimension politique, la Cour de cassation s’est réunie en Assemblée Plénière.
La nouvelle décision de la Cour de cassation était très attendue par les médias.
Lors de l’audience de plaidoirie, le Procureur Général de la Cour de cassation avait considéré que la crèche Baby-Loup ne pouvait pas être qualifiée « d’entreprise de conviction ». Mais, il avait cependant préconisé un rejet du pourvoi de la salariée… Et pour le justifier, il a précisé que la restriction de la manifestation des convictions religieuses prévue par le règlement intérieur de Baby-Loup pouvait se justifier car celui-ci visait à atteindre « l’objectif légitime de la protection du droit à la liberté de conscience des enfants ».
L’Assemblée Plénière de la Cour de cassation rejette le pourvoi de la salariée
L’Assemblée Plénière de la Cour de cassation a suivi cette argumentation. Et elle a rejeté le pourvoi de la salariée en considérant que la cour d’appel avait pu déduire du règlement intérieur de la crèche, en « appréciant de manière concrète les conditions de fonctionnement d’une association de dimension réduite, employant seulement dix-huit salariés, qui étaient ou pouvaient être en relation directe avec les enfants et leurs parents, que la restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur ne présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés de l’association et proportionnée au but recherché ».
La Cour de cassation a par contre considéré « erronés de qualifier l’association Baby-Loup d’entreprise de conviction » *. Puisque que cette association avait pour objet, non de promouvoir et de défendre des convictions religieuses, politiques ou philosophiques, mais, aux termes de ses statuts, « de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d’œuvrer pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes (…) sans distinction d’opinion politique et confessionnelle ».
* [comme l’avait fait la cour d’appel de Paris,].
Le rejet du pourvoi de la salariée
Enfin, la cour d’appel ayant retenu que le licenciement pour faute grave de la salariée licenciée était justifié :
- par son refus d’accéder aux demandes licites de son employeur de s’abstenir de porter son voile
- et par les insubordinations répétées et caractérisées décrites dans la lettre de licenciement, rendant impossible la poursuite du contrat de travail,
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la salariée. Et a donc reconnu, à son tour, la légitimité du licenciement pour faute grave.
(Cour de cassation, Assemblée plénière, 25 juin 2014, N°: 13-28369)
Ainsi, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a fait une appréciation concrète de la situation de la crèche. Et elle a déjugé l’arrêt de 2013 de la chambre sociale et reconnu le bien-fondé du licenciement pour faute grave de l’ancienne directrice adjointe de la crèche Baby-loup.
En raison de l’importance de l’affaire, la Cour de cassation a publié un communiqué dans lequel elle a rappelé notamment :
- qu’en application des articles L. 1121-1 et L. 1321-3 du code du travail, les restrictions à la liberté du salarié de manifester ses convictions religieuses doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ;
- qu’il ne résulte pas pour autant de sa décision que « le principe de laïcité, entendu au sens de l’article 1er de la Constitution, est applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public ».
L’avis du comité des droits de l’homme de l’ONU
Le comité des droits de l’homme de l’ONU a rendu, en août 2018, un avis sur la confirmation, par la justice française, du licenciement pour faute grave de la salariée de la crèche Baby-Loup.
Ce comité a estimé que le licenciement de Mme Afif ne reposait pas sur « un critère raisonnable ». Il a estimé que la France était « tenue » d’indemniser la plaignante « de manière adéquate et de prendre des mesures appropriées pour compenser la perte d’emploi sans indemnité et le remboursement de tout coût légal ».
Cependant, les recommandations du comité des droits de l’homme de l’ONU n’ont aucune valeur contraignante ni obligatoire. En effet, ses recommandations n’ont pas force de loi et ne font pas jurisprudence. Il en va autrement des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Celle-ci est, en effet, une juridiction internationale chargée de veiller au respect des droits de l’homme et dotée de l’autorité de la chose jugée.
Mais les avocats de l’ancienne salariée licenciée de Baby-Loup préféré saisir le comité des droits de l’homme de l’ONU. Ce dernier est moins directement efficace mais plus constant dans ses décisions que la Cour européenne des droits de l’homme. Car celle-ci a tendance à laisser une large marge d’appréciation aux Etats.
Article rédigé par Pierre LACREUSE : Sciences-Po Paris, licence en droit et DESS Université de Paris I Panthéon- Sorbonne. Ancien Directeur de la Gestion du personnel et des Relations Sociales, DRH, puis chef d’entreprise (PME). Et aujourd’hui Editeur juridique et relations humaines sur internet.
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Sources : Jurisprudence arrêts de la Cour de cassation publiés par Legifrance.gouv.fr, site de la Cour de cassation, BFM-TV et Wikipédia, le Monde.
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