Menaces, insultes, en voyage
Cour de cassation : 8 octobre 2014
Vie privée : sanction impossible…
ou vie professionnelle : licenciement pour faute grave ?
Un inspecteur principal, salarié d’une société d’assurances, participant comme invité à un voyage organisé par son employeur afin de récompenser certains salariés de l’entreprise, s’est livré à des menaces, insultes et comportements agressifs à l’égard de collègues ou supérieurs hiérarchiques. A la suite, son employeur l’a licencié pour faute grave.
Le contexte du licenciement pour faute grave
Engagé en mai 1996 par une société d’assurance comme conseiller commercial, un salarié promu depuis Inspecteur Principal, avait été invité à participer à un voyage en Croatie organisé du 7 au 10 mai 2009 par son employeur, afin de récompenser certains salariés. Le salarié, ayant été à l’origine de plusieurs graves incidents survenus avant le départ à Roissy puis à Dubrovnik, a été rapatrié le 8 mai. Ensuite, après un entretien préalable, l’entreprise a procédé à son licenciement pour faute grave par lettre du 9 juin 2009.
Dans la lettre de licenciement, l’employeur a reproché au salarié :
- d’avoir, le 6 mai 2009, provoqué un premier incident, alors qu’il se trouvait en état d’ébriété, à l’hôtel IBIS de l’aéroport Charles de Gaulle, en insultant, agressant et menaçant physiquement plusieurs de ses collègues ;
- d’avoir eu un comportement agressif, violent et menaçant à l’égard de son responsable hiérarchique qui lui demandait de rejoindre sa chambre, le soir du 7 mai à Dubrovnik, après avoir provoqué un nouvel incident avec un des serveurs du restaurant et alors que, suite à l’incident de la veille, son responsable hiérarchique lui avait demandé d’avoir une attitude irréprochable à l’avenir ;
- et par la suite, de s’être retrouvé dans une position extrêmement agressive vis-à-vis du Directeur du réseau salariés de l’entreprise.
Le contentieux prud’homal, jusqu’en cassation
Le salarié licencié ayant engagé une action prud’homale, un contentieux va se développer jusqu’en cassation.
Pour la cour d’appel le licenciement est abusif car relevant de la vie privée
La Cour d’appel de Rennes infirme partiellement le jugement du conseil de prud’hommes. Elle dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamne la société employeur à payer à son ancien salarié des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité de préavis et congés afférents, l’indemnité conventionnelle de licenciement, une indemnité pour l’absence d’information sur le droit individuel à la formation, ainsi que des dommages et intérêts en réparation d’un préjudice financier subi en raison d’une erreur sur l’attestation Pôle Emploi. Elle condamne, en outre, l’employeur à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées au salarié licencié jusqu’à six mois après son licenciement (arrêt de la Cour d’appel de Rennes du 27 février 2013).
Pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d’appel a indiqué que les faits reprochés, ayant été commis lors d’un séjour d’agrément en dehors du temps et du lieu de travail, relevaient de la vie privée et qu’aucun manquement de l’intéressé à une obligation contractuelle n’était établi.
Les arguments de l’employeur pour justifier le licenciement pour faute grave
La société employeur se pourvoit en cassation. Pour elle, « des violences physiques et verbales commises par un salarié, même hors du temps et du lieu du travail, peuvent justifier une sanction disciplinaire lorsque les faits incriminés se rattachent à la vie professionnelle du salarié et à l’entreprise ».
Et elle expose :
- que les faits sont directement liés à la sphère professionnelle et pour le démontrer elle souligne que le salarié licencié lui-même l’a reconnu en sollicitant l’application de la législation professionnelle pour un prétendu accident survenu en Croatie ;
- que les faits fondaient un licenciement pour faute grave, après une procédure régulière devant le conseil de discipline ;
- et qu’en tout état de cause, « un motif tiré de la vie personnelle du salarié peut justifier un licenciement disciplinaire lorsqu’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail ; que commet un manquement à ses obligations découlant du contrat de travail, le salarié, occupant un poste de cadre, qui, à l’occasion d’un voyage organisé et offert par l’employeur pour récompenser certains salariés de l’entreprise, commet une agression physique et verbale à l’encontre de certains de ses collègues de travail et de son supérieur hiérarchique et se montre irrespectueux, insultant et menaçant à leur égard ».
La position du salarié
De son côté, le salarié faisait valoir que les faits reprochés relevaient de la vie privée et ne pouvaient constituer une faute, et encore moins une faute grave.
Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant du contrat de travail. Selon le salarié, le séjour organisé et offert par l’employeur n’était pas un voyage d’affaires, ni un séminaire, mais un voyage d’agrément pour récompenser des salariés.
Par ailleurs, le salarié a contesté l’altercation avec le serveur croate et a prétendu avoir été licencié verbalement par le directeur commercial dès le 7 mai 2009, ce que celui-ci démentira.
La Cour de cassation rattache les faits à la vie de l’entreprise
La Cour de cassation a rappelé que « pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’arrêt [de la cour d’appel] retient que les faits reprochés au salarié, commis à l’occasion d’un séjour d’agrément en dehors du temps et du lieu de travail, relevaient de la vie privée quand bien même des supérieurs hiérarchiques et d’autres salariés étaient conviés à participer à ce séjour et que le salarié avait tenté de bénéficier de la législation professionnelle pour un accident dont il était prétendu qu’il était survenu à l’occasion de ce séjour et qu’aucun manquement de l’intéressé à une obligation contractuelle n’était établi » ;
Pour conclure « Qu’en statuant ainsi, alors que les faits de menaces, insultes et comportements agressifs commis à l’occasion d’un séjour organisé par l’employeur dans le but de récompenser les salariés lauréats d’un « challenge » national interne à l’entreprise et à l’égard des collègues ou supérieurs hiérarchiques du salarié, se rattachaient à la vie de l’entreprise, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
Par ces motifs, la Cour de cassation a cassé et annulé dans toutes ses dispositions, l’arrêt de la cour d’appel (Cour de cassation, chambre sociale, 8 octobre 2014, N°: 13-16793).
Source de la jurisprudence arrêt de la Cour de cassation : Legifrance.gouv.fr
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Résumé : Un salarié d’une société d’assurances, employé en tant qu’inspecteur principal, avait été invité à participer à un voyage organisé pour récompenser certains salariés de l’entreprise. À la suite de menaces, insultes et comportements agressifs du salarié lors de ce séjour à l’égard de collègues ou supérieurs hiérarchiques, il a été licencié pour faute grave.
La cour d’appel avait considéré le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Selon la cour, les faits reprochés au salarié, commis en dehors du temps et du lieu de travail, relevaient de sa vie privée.
La Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel, en considérant que les faits commis par un salarié envers des collègues ou supérieurs hiérarchiques, à l’occasion d’un séjour organisé par l’entreprise visant à récompenser des salariés, se rattachent à sa vie professionnelle.
Article rédigé par Pierre LACREUSE, Sciences-Po Paris, licence en droit et DESS Université de Paris I Panthéon- Sorbonne, ancien Directeur de la Gestion du personnel et des Relations Sociales, DRH, puis chef d’entreprise (PME), aujourd’hui Editeur juridique et relations humaines sur internet.
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